Dans Vues sur l’autre rive, François Simard invite le spectateur à une méditation contemplative et poétique sur le geste de création, la mémoire, et le rapport de l’homme à la nature.
À travers ce nouveau corpus, l’artiste poursuit ses explorations picturales en interagissant avec des gravures de paysages canadiens du 19e siècle. Cette nouvelle production intègre plus particulièrement des gravures extraites d’archives de journaux, réalisées entre 1870 et 1885. Ces images, dont la composition correspondait aux codes de représentation classiques du paysage en peinture, illustraient l’actualité à une époque où la photographie n’en était qu’à ses balbutiements.
Afin de forger un sentiment nationaliste canadien auprès du lectorat pour ce pays naissant, les auteurs de ces gravures s’autorisaient quelques libertés narratives, ponctuant leurs représentations d’éléments bucoliques, tel un orignal paisible s’abreuvant dans une rivière ou encore un pêcheur solitaire aux abords d’un lac.
Exhumant ces gravures de l’oubli, François Simard manipule ces représentations par des interventions abstraites, leur offrant ainsi un nouveau souffle. D’abord, par des procédés de recadrage ou des recouvrement, l’artiste évacue tout élément narratif ou historique de la représentation, mettant en lumière, avec poésie, le caractère immuable de ces majestueux paysages de forêts, de montagnes, de lacs et de rivières face à la fugacité de l’existence humaine. Alors que les sites représentés, identifiables par le titre, demeurent reconnaissables aujourd’hui, les auteurs des gravures, eux, ont sombré dans l’anonymat.
Par ses touches libres, fluides et expressives, l’artiste se réapproprie ces vues anciennes, faisant de celles-ci son champ d’expérimentation plastique. Il y infuse son vocabulaire pictural intime – abstrait, intuitif et résolument moderne – composé de formes, de lignes, de texture et de couleurs variées. Il en remodèle ainsi la perception, brouillant la lecture de ces paysages détaillés en adoucissant les lignes et les contours, et, de ce fait, déjouant les conventions picturales. Les atmosphères qu’il crée sont tantôt énigmatiques, tantôt empreintes d’une tendre légèreté.
Chaque œuvre devient ainsi le théâtre d’une rencontre improbable entre deux courants artistiques séparés par le cours d’un siècle, soit la figuration classique et l’abstraction contemporaine. Ces styles coexistent sur la surface picturale avec une complémentarité harmonieuse. Il en résulte des créations qui, tout en étant riches en contrastes, vibrent d’une organicité saisissante. Avec Vues sur l’autre rive François Simard orchestre une symphonie visuelle d’une beauté envoûtante où le geste minutieux et le geste fluide se complémentent mutuellement et où les camaïeux de beiges et de gris rehaussent subtilement les touches de couleur.
Virginie Brunet-Asselin