Présentée quelques mois seulement après le décès d’Yvon Cozic, survenu le 27 juin dernier, Un étonnant voyage, la suite se tient dans un contexte chargé d’émotion. La disparition de cet artiste majeur représente une perte inestimable pour l’art québécois, qu’il a contribué à ancrer dans la modernité. Nous dédions cette exposition à sa mémoire (1942-2025). Nos pensées accompagnent Monic, sa complice de toujours, ainsi que leur fille, Nadja.
Le titre de l’exposition renvoie à une installation de Cozic créée en 2015. Avec une efficacité désarmante, l’œuvre condense l’essence de l’existence, cristallisée dans une métaphore évocatrice. Le départ récent d’Yvon Cozic en décuple la portée symbolique et émotive.
Conçue à partir de matériaux usinés récupérés, l’installation se compose de dix valises de formats variés, disposées sur un socle recouvert d’un tapis évoquant un carrousel d’aéroport. Chacune est ornée d’une plaque gravée d’un mot distinct, comme autant d’allusions aux sentiments universels qui jalonnent la vie.
Par cette installation, Cozic aborde les grandes interrogations existentielles : le passage du temps, le caractère éphémère, fragile et transitoire de la vie, la complexité des relations humaines, la transmission, la disparition et la trace. Les valises se font l’allégorie du bagage intime, cette charge que chacun transporte avec soi, plus ou moins lourde selon son vécu, tandis que l’allusion à l’aéroport, lieu transitoire par excellence, figure la condition humaine rythmée de cycles, ponctuée d’arrivées et de départs.
Cette exposition célèbre la trajectoire remarquable de Cozic, un couple d’artistes visionnaire unis dans la vie comme dans la création. Pop, ludique, inclusive et libre, leur pratique échappe à toute catégorisation et, comme le rappelait récemment Bernard Lamarche, conservateur de l’art contemporain au Musée national des beaux-arts du Québec, le duo cherche avant tout « à abolir les clivages qui pouvaient s’opérer entre l’art et le public […] en un mot, à réduire cette distance par un art de la participation ».
Bien qu’elle ne soit pas rétrospective, l’exposition réunit des œuvres couvrant près de six décennies de création, certaines emblématiques, d’autres rarement présentées. Cette sélection propose un survol du parcours du duo et met en lumière quelques thèmes récurrents de leur travail tels que la communication, l’écologie et le jeu.
Premières créations et Code Couronne
Dès sa formation en 1967, Cozic explore de façon ludique et conceptuelle le langage et la configuration des mots. Le duo s’intéresse aux systèmes de signes, verbaux, visuels ou graphiques qu’ils détournent avec humour et inventivité, que ce soit par des jeux de mots ou des expérimentations conceptuelles menées avec les codes braille, maritime ou labiaux.
Réalisées en 1966, soit un an avant la formation officielle du tandem sous le nom de Cozic, A-Anathème et Halt — que les artistes qualifient de peintures-reliefs — s’inspirent, dans une esthétique résolument pop, des symboles graphiques de la signalisation routière et commerciale. Elles révèlent l’attrait précoce du couple pour les signes, les symboles, les éléments de langage et les objets du quotidien. Comptant parmi les œuvres les plus anciennes et les plus méconnues du duo, elles n’avaient pas été présentées depuis 1971.
Les recherches de Cozic autour du langage culminent en 2006 avec l’invention du Code Couronne, un langage visuel chromatique et synesthésique qui interroge à la fois le statut de l’œuvre et les mécanismes de signification. L’idée de ce code leur serait apparue dans une salle d’attente, en feuilletant une revue détaillant les cotes minières à la bourse. Ces diagrammes colorés leur inspirent un code chromatique, un alphabet plastique secret composé de neuf couleurs, organisées en cercles concentriques et en arcs de cercles.
Selon l’historien de l’art Gilles Lapointe, le code couronne est « la signature Cozic »: un élément fondamental, emblématique et immédiatement identifiable de leur esthétique.
Dans l’œuvre Seins, créée en 2011, Cozic s’appuie sur la rondeur du Code Couronne pour évoquer la poitrine féminine, en référence à la longue tradition du nu dans l’art occidental.
Le caractère circulaire du code atteint son paroxysme avec Boule E (2007), où il se déploie en trois dimensions dans une sphère, dans toute sa puissance volumétrique.
Associant étroitement l’art et le jeu, Cozic sollicite la participation du spectateur, invité à déchiffrer, à l’aide d’un décodeur, les codes couronnes qui font partie des œuvres. Boule E, Dieu et Rythme, qui prennent la forme de jouets d’enfants familiers, respectivement un ballon, une cible hybride, entre fléchettes, tir à l’arc et toupie, ainsi qu’un jeu d’empilement, incarnent cette dimension ludique et participative de leur travail. Comme des énigmes ludiques, les titres des œuvres sont transposés en code couronne et intégrés à même les objets.
La série Dazibao s’inspire des kakémonos japonais et des dazibaos chinois: ces manifestes populaires rédigés par des citoyens et placardés sur les murs pour aborder des sujets politiques ou moraux. Elle rassemble huit dessins qui déclinent, en Code Couronne, tels des mantras, les mots : « élucubrations », « poésie », : « rigueur », «abstrait », « rencontre », « réel », « lisible », etc.
Krakos Angleterre (1969), tirée de la série Krakos, marque l’une des premières incursions de Cozic dans l’abstraction sculpturale et est aujourd’hui l’une des rares pièces encore disponibles de cet ensemble. Dès 1967, le tandem contribue à l’implantation des codes esthétiques postminimalistes au Québec. L’œuvre présente ainsi des affinités avec celles du sculpteur américain Robert Morris, qui avait développé une réflexion sur l’espace, l’architecture et le visiteur comme composantes fondamentales de l’œuvre et de l’expérience esthétique, des recherches qui inspireront d’ailleurs Cozic et sa production ultérieure, fondée sur l’implication sensorielle du public.
Constituée de deux éléments distincts pouvant être configurés de différentes façons, cette forme duale, réalisée à partir de matériaux d’origine industrielle, se prête à la manipulation. Le spectateur est naturellement porté à recomposer la figure du cercle. L’œuvre préfigure ainsi les réalisations ultérieures de Cozic, où la participation active et sensorielle du public occupe une place centrale.
Pliages
Cozic se tourne vers la pratique du pliage en 1978, introduisant leurs célèbres « cocottes » qui deviendront un motif central et obsessionnel de leur production des années 1980. Chaque pli, en réduisant la surface, nie la pureté géométrique du carré. Pendant plus d’une décennie, les cocottes de Cozic, souvent personnifiées, se déclinent dans une variété de formats et de matériaux tels que le papier, le tissu, l’acier, le bois ou encore le carton.
Réalisée en 1983, Aztèque no.11 appartient à une série éponyme où Cozic imagine une archéologie fictive. Façonnés à partir de matériaux modestes et familiers, les pliages prennent l’allure de vestiges aztèques, évoquant une coiffe impériale.
Alliant rigueur formelle et liberté créative, Cozic cultive l’imagination, le jeu et l’émerveillement au quotidien. Le processus créatif du duo se nourrit d’imprévus, de rencontres fortuites et d’obsessions formelles qui doivent être assouvies.











