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    QUÉ

    Shuvinai Ashoona

    Figure incontournable de l’art canadien, Shuvinai Ashoona est une artiste inuite originaire de Kinngait, (autrefois Cape Dorset) au Nunavut. Son travail, célébré tant au Canada qu’à l’international, a été notamment présenté dans le cadre de l’exposition centrale de la Biennale de Venise en 2022, où elle a obtenu une mention spéciale du jury. En 2018, elle remporte le prix Gershon Iskowitz puis, plus récemment, en 2024, le Prix du Gouverneur Général du Canada.

    Issue d’une famille d’artistes, Shuvinai Ashoona se distingue par ses œuvres richement colorées et détaillées, réalisées au crayon de bois et à l’encre illustrant la vie moderne en Arctique. Avec son approche inventive, son iconographie unique et son style graphique distinctif, Ashoona révolutionne l’art inuit et déconstruit les idées reçues et les perceptions erronées entretenues à l’égard d’une culture millénaire encore trop méconnue. Dans ses dessins souvent surdimensionnés se mêlent librement des éléments tirés de la culture inuite traditionnelle, des références à la culture populaire nord-américaine et ses propres visions mystiques, tantôt grotesques, tantôt fantastiques. L’artiste transpose, dans des créations empreintes d’une sensibilité presque filmique, le regard singulier, sensible et poétique qu’elle pose sur le monde. Ses dessins témoignent de la richesse de la culture inuite mais également des bouleversements profonds subis par les peuples du Nord passés, en moins d’un siècle, d’un mode de vie nomade à sédentaire.

    Les œuvres présentées dans Imaginaires et territoires sont issues de différentes époques et explorent une variété de thématiques. Cela dit, les dessins sélectionnés illustrent pour la plupart le mode de vie, les activités, les valeurs, et les objets usuels inuits. On y voit des personnages s’adonnant à des activités telles que le chant de gorge, la chasse au caribou, la cueillette de petits fruits et la pêche au barrage, selon des méthodes ancestrales.

    À travers des dessins aux couleurs vives et audacieuses débordant de vie, Ashoona compose des récits narratifs mettant généralement en scène plusieurs personnages interagissant au sein de paysages arides et rocailleux de la toundra arctique. En plaçant les figures au centre et au premier plan de ses compositions, Ashonna souligne l’importance de la famille et de la communauté dans la culture inuite et en illustre les valeurs fondamentales d’entraide, de partage et de transmission tout en mettant en lumière la relation étroite qu’entretiennent les inuits avec le territoire et sa faune.

    Parmi les éléments caractéristiques qui composent l’imagerie singulière d’Ashoona, on retrouve le ulu, un couteau utilisé par les femmes inuites, reconnaissable par sa lame semi-circulaire. Cet outil polyvalent est utilisé pour dépecer et découper le gibier, préparer les peaux, tailler des blocs de glace et même couper les cheveux. Le qulliq, une lampe traditionnelle à l’huile de phoque en forme de demi-lune, est un autre motif récurrent dans ses œuvres. Cette lampe, source essentielle de lumière et de chaleur dans l’environnement hostile de l’Arctique, est un symbole de vie dans la culture inuite. Enfin, la planète Terre est sans doute le motif le plus emblématique de l’œuvre d’Ashoona. En représentant le globe terrestre à la même échelle que ses personnages, l’artiste évoque symboliquement la responsabilité de chaque être humain envers la planète, particulièrement dans le contexte d’une crise climatique qui affecte particulièrement l’Arctique.

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    Pitseolak Qimirpik

    Âgé de 35 ans et basé à Kinngait, au Nunavut, Qimirpik représente une nouvelle génération dynamique d’artistes inuits et se distingue rapidement sur la scène artistique canadienne par l’originalité, l’inventivité et le caractère ludique de ses sculptures et dessins. Initié à la sculpture dès son plus jeune âge par son père, le célèbre sculpteur Kellypalik Qimirpik, Pitseolak développe très tôt un style unique alliant des éléments traditionnels de la culture inuite et des symboles de la culture populaire nord-américaine.

    Cette sélection de sculptures et de dessins met en lumière un thème central de l’art inuit : la transformation. Ce phénomène, décrit comme la métamorphose spirituelle d’un être humain en un animal ou d’un animal en un autre est un sujet récurrent de la spiritualité inuite animiste, au cœur de nombreux contes, légendes et mythes. Certaines sculptures de Qimirpik illustrent plus particulièrement le concept de transformation chamanique, une croyance traditionnelle selon laquelle certains individus peuvent, en cas de nécessité, se métamorphoser en un autre animal afin de bénéficier de ses attributs spécifiques et survivre dans les conditions extrêmes de l’Arctique.

    D’autres sculptures illustrent le célèbre mythe cosmogonique de Sedna, déesse de la mer représentée sous la forme d’une sirène dont la transformation aurait donné naissance à toutes les créatures marines. Selon la légende, Sedna, une jeune femme inuite, naviguait en kayak avec son père lorsqu’une violente tempête éclata. Dans un acte désespéré pour stabiliser l’embarcation qui menaçait de chavirer, son père la jeta par-dessus bord. S’agrippant au bord du kayak, Sedna vit alors son père couper ses doigts un à un pour la forcer à lâcher prise et la livrer à la mer déchaînée. En sombrant dans les profondeurs, les doigts de la jeune femme se transformèrent alors en créatures marines telles que des phoques, des morses et des baleines. Devenue mi-femme, mi poisson, Sedna règnerait depuis sur les océans et la faune marine, contrôlant, selon ses humeurs, le destin des pêcheurs et des chasseurs qui dépendent des ressources de la mer pour survivre.

    Les paysages vibrants de Qimirpik, réalisés au crayon de couleur, sont peuplés de créatures hybrides, fantastiques et parfois grotesques, parcourant la toundra et l’océan Arctique. Elles cohabitent avec la faune locale, incluant des bélugas, des loups arctiques, des araignées et des bœufs musqués. Ne recourant pas aux techniques de perspective, Qimirpik place tous les éléments de ses paysages sur le même plan, offrant ainsi au spectateur une riche superposition de formes et de couleurs.

    Virginie Brunet-Asselin

    Œuvres exposées