À travers des scènes narratives à la fois oniriques et sauvages, la série Les floraisons des mauvaises semences: les cendres des épouses de l’ascèse donne à voir une mutation impétueuse. Œuvrant à partir de son éducation religieuse, Annie Baillargeon invoque à travers des procédés autofictionnels des rites traversés par une force de vivre et de résistance. En tant que compositions performatives, ces rites s’inscrivent dans un désir d’affranchissement des corps par rapport à l’emprise ascétique et son ravage psychique, social et environnemental. Les rituels de soins et de filiations collectives adoptent une imagerie pastorale où une multiplicité de figures insoumises, païennes et séditieuses renoue avec le feu, l’eau, l’air et la terre comme autant de reconquêtes de leur propre corps. Elles se réapproprient ce qu’elles partagent entre elles et avec le reste du vivant. Tableau par tableau, des liens se tissent et se trame le récit d’une cohabitation.
Ni conte de fées ni chemin de croix, ces noctambules sillonnent des espaces obscurs. Elles font confiance à l’invisible et l’incalculable. Ces environnements crépusculaires, sans éclairage surplombant, donnent lieu à des lumières singulières que ce soit de fragiles chandelles ou des brasiers ardents, autour desquels une collectivité se constitue. La flamme de chacun·e prend part et alimente la flamme collective. Elle y porte son souffle et anime sa respiration. Ensemble, elles forment la part du feu, ce qui demeure après le déni de la vie. Une volonté de renouer avec ce dont on a été séparé de même que de guérir de la dépossession transporte cette série; la guérison qui s’y amorce est créative, elle fait appel à la capacité de croire en ce monde, celui des corps, de la terre et des attachements au vivant. Ce qui brûle repousse, mais autrement.
L’ascèse nomme une discipline qui cherche la libération de l’esprit par le mépris du corps et le perfectionnement spirituel ou moral. Elle discipline le corps impie, réduit sa sensibilité, restreint ses passions pour le tourner vers la transcendance et l’éloigner de la vie terrestre. Par sa honte de la terre boueuse et nourricière, elle balise, disqualifie, voire nie le foisonnement et l’éruption du vivant. Elle efface le corps tout en capturant la vie pour
les mettre au service d’un système de gestion de la vie et la mort. En contrepartie, les floraisons nomment la symbiose du corps avec les éléments terrestres d’où émerge la vie. Elles évoquent des processus cycliques de transformations et de renaissances. Fleurir, c’est résister à la mort et vivre ses interdépendances comme une responsabilité et une force. Entre cendres et semences, les mauvaises semences ne sont pas toujours celles que l’on croit.
– Émile Lévesques Jalbert
L’exposition comporte également des œuvres de la série Postures des soins, réalisée en 2022 dans le cadre de Yahndawa, portage entre Wendake et Québec. L’artiste aborde les violences et l’invisibilisation imposée depuis longtemps aux femmes. Au fil d’actions performatives qui ont mené à la réalisation de photographies, de vidéos et de sculptures, Annie Baillargeon a travaillé sur un persona – la sorcière – afin de se réapproprier des mythes et de partager des rituels de guérison.