Le chant des marais présente le travail le plus récent de l’artiste Pierre Durette. L’exposition regroupe deux projets qui se font écho : Le Délabrement des possibles, qui regroupe une série de dessins et Marais, un ensemble de sculptures. Ces œuvres dévoilent l’intérêt continu de l’artiste pour des thèmes liés aux menaces latentes.
Dans l’imaginaire collectif, le marais est souvent associé à un lieu dangereux, voire mystérieux, où la nature elle-même semble se décomposer. Cette idée a été nourrie par la littérature, l’histoire de l’art et la mythologie, où il sert souvent à représenter des concepts tels que la mort ou la régénération. Dans le contexte de cette exposition, le marais évoque notre impuissance face à ce qui nous attend pour la suite des choses, ainsi que nos questionnements et nos peurs face aux crises contemporaines. Il symbolise une époque vaseuse, où l’on s’enlise sous la masse de nouvelles et de contenus, où l’on trouve difficilement ses repères. Ainsi, le marais peut-être interprété comme une force qui engloutit nos récits et nos idées, tel un sable mouvant qui laisse présager une décadence imminente.
Le Délabrement des possibles est une série de dessins qui forment un tout riche en symbolisme et en détails. Ces dessins évoquent l’esthétique d’une toile de Jouy – où des scènes mêlant personnages, paysages et animaux se répètent – ou celle de la tapisserie de Bayeux – qui illustre les différents épisodes d’une guerre –, à la différence que Durette ne raconte pas un événement particulier, mais juxtapose plutôt des bribes de l’histoire passée en les présentant de manière non linéaire. L’artiste entrelace réalité et fiction pour créer une variété de saynètes où la narration fait dialoguer l’histoire et l’actualité. Il y aborde des sujets aussi divers que la guerre en Ukraine, la théorie conspirationniste du Pizzagate, l’avancée des nouvelles technologies ou encore l’insurrection au Capitole. S’y glissent aussi des références à la mythologie et à l’histoire de l’art : l’aigle du Caucase qui dévore le foie de Prométhée, Le Déjeuner sur l’herbe d’Édouard Manet, La leçon d’anatomie du docteur Tulp de Rembrandt et plusieurs autres.
L’univers qu’il crée semble futuriste en raison de son style froid et très illustratif qui laisse penser que la science-fiction nous rattrape et nous projette dans un futur qui semble bizarrement proche. Durette interroge les récits dominants par un jeu d’anachronismes et par la mise en relation de fragments d’événements issus des livres d’histoire et des médias. C’est une œuvre chargée visuellement, mais aussi politiquement en raison des récits qu’elle porte et de ceux qu’elle occulte : on peut passer des heures à contempler les innombrables détails.
Quant au corpus Marais, il regroupe des sculptures figuratives représentant des formes animales et humaines. On peut y discerner des animaux ensevelis sous la boue, figés dans la glaise, qui représentent la chute et l’extinction, ainsi que des corps lourds et mous, suspendus entre la vie et la mort, semblables à ceux pétrifiés de Pompéi. Dans un contexte de crise climatique, cette série peut être interprétée comme une anticipation par l’artiste du monde de demain, marqué par les excès de notre époque.
À l’opposé du Délabrement des possibles, qui regorge de détails minutieux et de motifs répétitifs, la technique de l’enfumage utilisée pour les sculptures de porcelaine de Marais suscite une expérience plus émotionnelle et sensible. Cette méthode confère aux œuvres un aspect corrodé qui renforce l’impression d’un écroulement imminent. Rassemblées, elles évoquent un monde dystopique et hostile : un marais où tout semble figé et incertain.
Catherine St-Onge Paquin