Dans cette exposition, l’artiste endosse le rôle de commissaire, simulant une exposition fictive où seraient présentées, dans la salle d’un musée d’histoire, les reliques d’œuvres détruites à l’arme à feu lors d’un assaut. Dans l’ivresse de cette violente invasion, des peintures auraient été prises pour cibles et lacérées sous l’impact des chevrotines.
Deux événements marquants ont inspiré Arcand-Bossé dans l’élaboration de ce projet : l’assaut du Capitole du 6 janvier 2021 et l’attaque à la soupe de tomates du célèbre tableau de Van Gogh Tournesols, survenue à la National Gallery de Londres le 14 octobre 2022. Chargés de signification et visuellement percutants, ces événements stimulent l’imaginaire de l’artiste et nourrissent sa réflexion.
Les œuvres perforées représentent des paysages pittoresques idéalisés dans l’esprit de la peinture paysagère romantique du XIXe siècle. Puisant dans un vaste répertoire d’œuvres d’art de cette époque, de Constable à Turner en passant par les peintres de la Hudson River School, l’artiste compose des paysages imaginaires bucoliques en jonglant avec des codes anachroniques. Loin d’être de banals pastiches désincarnés, les œuvres d’Arcand-Bossé témoignent d’un plaisir sincère à imaginer et à façonner de toutes pièces des lieux et des paysages inventés.
Puis, dans un geste d’autodestruction, l’artiste ouvre le feu sur ses œuvres, introduisant, par ce geste irrévocable, une part de risque et de hasard dans sa création. Par ce jeu périlleux, Arcand-Bossé accepte l’éventualité que ses œuvres, fruit d’un long et minutieux travail, soient irrémédiablement détruites; une démarche particulièrement audacieuse chez l’artiste dont l’approche picturale est fondée sur un contrôle rigoureux, voire perfectionniste de la technique. Par ce contraste, Arcand-Bossé interroge la fragilité inhérente à la création, marquée par une prise de risque et une vulnérabilité, et explore la tension entre maîtrise et lâcher-prise, contrôle et perte.
Faisant écho à la violence de notre époque, le tir devient ici, au même titre qu’un coup de pinceau, un geste formel et esthétique. En déterminant à l’avance les points d’impact ainsi que le nombre et l’espacement des coups de feu, l’artiste maintient un certain contrôle sur la composition de l’image dont il peut moduler le degré de dégradation.
À travers cette exposition, Thierry Arcand-Bossé interroge également la valeur, le statut et la dimension quasi sacrée de la peinture, dont la destruction éveille les passions et pour beaucoup, qu’ils soient initiés ou non à cette forme d’art, relève du blasphème. À l’instar de l’autodafé, l’iconoclasme constitue une violence symbolique, une atteinte à la liberté d’expression, à la mémoire collective, à l’universel, en somme, à l’humanité dans son essence la plus profonde: sa dimension sensible. En l’occurrence, prendre pour cible un paysage inoffensif ne rend-il pas cet acte plus choquant, plus méprisable encore?
Face à la violence et à la dévastation ambiantes, Thierry Arcand-Bossé démontre qu’en dépit de tout, l’art survit, incarnant un outil de résistance et un vecteur de changement intemporel. En exposant ces vestiges marqués par la violence, l’artiste célèbre la puissance indestructible de l’expression artistique.
Virginie Brunet-Asselin